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Une définition de la santé hormonale

Jeanne Blain
Jeanne Blain

30 juill. 2025

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« Est-ce que 100 tampons suffiront pour six jours dans l’espace ? »

Cette question, posée à Sally Ride, première femme américaine à voyager dans l’espace en 1983 illustre de manière frappante à quel point la santé hormonale des femmes demeure incomprise. Si l’on ignore souvent ce que vivent les femmes en général, c’est encore plus vrai lorsqu’elles occupent un rôle de proche aidante. Prendre soin d’un parent, d’un enfant handicapé ou d’un conjoint malade, tout en gérant simultanément son propre corps, ses cycles hormonaux, ses douleurs et son épuisement, représente un enjeu de santé publique encore largement invisibilisé.

Le cycle menstruel, qui dure en moyenne entre 25 et 30 jours, est rythmé par des fluctuations hormonales. Il commence par la phase menstruelle, où les taux d’œstrogènes et de progestérone sont au plus bas. Progressivement, les œstrogènes augmentent, préparant l’endomètre à une éventuelle fécondation. Lors de l’ovulation, les œstrogènes chutent, puis remontent avec la progestérone pendant la phase lutéale. En l’absence de grossesse, une nouvelle chute hormonale déclenche les menstruations.

Ces variations ne sont pas anodines : elles influencent le métabolisme, l’humeur, le sommeil, la mémoire et la douleur. Loin d’être cantonnées au système reproducteur, les hormones influencent également le cerveau, notamment l’hippocampe; une région impliquée dans l’apprentissage et la régulation émotionnelle. Des études ont démontré que cette structure changeait de forme au fil du cycle menstruel, affectant la mémoire et la cognition (Taylor et al., 2020). Ces fluctuations hormonales s’accompagnent souvent de symptômes pénibles. Les crampes menstruelles touchent plus de la moitié des femmes, et environ une femme sur cinq souffre de douleurs sévères pendant ses règles (Iacovides et al., 2015). À cela s’ajoutent des troubles de l’humeur, des problèmes digestifs, une fatigue extrême, des insomnies ou encore des phases de dépression souvent non reconnues comme telles. Le syndrome prémenstruel (SPM) peut survenir quelques jours avant les règles et se manifeste par de l’irritabilité, de la tristesse, de l’anxiété, ainsi que par des symptômes physiques comme des ballonnements, des seins douloureux, de la fatigue ou des troubles du sommeil. Jusqu’à 3 à 8 % des femmes souffrent d’une forme plus sévère appelée trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), caractérisée par des symptômes psychologiques intenses (Halbreich et al., 2003).

Chez certaines femmes, ces effets sont aggravés par des maladies gynécologiques chroniques. L’endométriose, qui touche environ 10 % des femmes en âge de procréer, provoque des douleurs pelviennes chroniques, une fatigue profonde et peut entraîner une infertilité (Zondervan et al., 2020). Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), lui aussi présent chez une femme sur dix, entraîne des cycles irréguliers, des douleurs, de l’acné, une prise de poids et des troubles de l’humeur (Teede et al., 2018). Ces conditions sont rarement diagnostiquées rapidement, et leur impact sur la vie quotidienne demeure largement sous-estimé.

La ménopause, avec ses étapes de périménopause et de post-ménopause, peut s’étendre sur plus d’une dizaine d’années, entre 40 et 60 ans. Durant cette période, les hormones comme l’œstrogène diminuent, ce qui peut s’accompagner de divers symptômes, selon les femmes : bouffées de chaleur, douleurs articulaires, troubles de la mémoire et de la concentration, baisse de libido, sécheresse vaginale, phases dépressives, déréalisation ou encore sentiment de déconnexion au corps, voire à soi-même (Cloutier, 2021). Ces symptômes sont fréquemment confondus avec du stress, des troubles anxieux ou de la dépression, sans que leur origine hormonale ne soit envisagée.

Ces réalités prennent une dimension plus critique chez les femmes proches aidantes. Environ 57,5 % des proches aidants sont des femmes, dont une grande partie sont âgées de 40 à 65 ans (Observatoire québécois de la proche aidance, 2022). En plus de leur travail salarié ou domestique, elles assument le soutien quotidien d’un proche. Ce rôle exige un engagement physique et émotionnel important, souvent en contradiction avec les effets du cycle hormonal.

Alors que leurs besoins physiologiques et hormonaux exigeraient du repos, de l’attention, et parfois des soins médicaux spécialisés, elles se trouvent souvent sans pause ni reconnaissance. Le stress chronique lié à l’aidance peut, à son tour, perturber le cycle menstruel, accentuer les douleurs et aggraver les troubles du sommeil. La charge mentale constante, le manque de repos et la culpabilité alimentent l’épuisement et l’isolement.

Pourtant, la perspective hormonale demeure très peu intégrée dans les dispositifs d’accompagnement des proches aidants. L’idée que certains troubles de l’humeur, douleurs ou pertes cognitives puissent avoir une origine hormonale est encore trop souvent ignorée — y compris dans le milieu médical. Et dans le monde de la recherche, la situation est préoccupante : moins de 0,5 % des études en imagerie cérébrale tiennent compte du cycle menstruel des participantes comme variable de recherche (Jacobs, 2023).